LA LIESSE POPULAIRE

LA LIESSE POPULAIRE

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Il y a bien longtemps que les œuvres d’art ne soulèvent plus l’enthousiasme des foules.

Plus longtemps encore que les foules n’accompagnent plus les œuvres d’ art depuis leur lieu de création jusqu’au lieu conçu pour les recevoir…Et d’ailleurs, il n’y a plus de procession pour les y conduire. Depuis longtemps.

C’était pourtant le cas, parfois, il y a bien longtemps, pour de grands tableaux qui quittaient l’atelier pour aller sous les vivas s’installer dans les cathédrales pour lesquelles ils avaient été commandés.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui… Non, plus le cas, jamais plus…Sauf…Sauf dans un petit village d’irréductibles gaulois, je veux dire en ardenne où un sanglier d’acier ( le sanglier est l’emblème de l’ardenne, de l’ardenne belge comme des Ardennes françaises ) vient de connaître une odyssée qui rappelle les processions triomphales du Moyen-Age et, plus près de nous, les grandes processions des villes andalouses ( à la différence près, pour celles-ci, si elles ont en commun la liesse populaire, qu’elles n’ont pas pour but d’accompagner une œuvre d’art jusqu’à son point d’installation ).

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Acte I VILLE DE SIENNE année 1311

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En 1308 , le Clergé commande au peintre DUCCIO di BUONINSEGNA une Vierge en majesté avec l’Enfant que l’on appelle «  MAESTA « .

DUCCIO mettra 3 ans pour réaliser ce que tout le monde, dés son apparition, va considérer comme un chef d’œuvre : en 1311 toute la Ville de Sienne va acclamer le gigantesque tableau pendant son transfert depuis l’atelier du peintre jusqu’à l’autel majeur de la Cathédrale :

La Maesta - DUCCIO - 1311 - Museo del Duomo - Siena

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Acte II – Département des Ardennes – aout 2008:

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Il y a peu, sur l’autoroute A34 allant de Charlerville à Reims, je vois sur ma gauche un sanglier.

Je vois régulièrement des sangliers sur le bord de la route. Mais celui-là me semble énorme.

Je sors de l’autoroute, gagne le rond-point sur lequel il est installé ; des personnes sont arrêtées, vont et viennent, prennent des photos. Manifestement l’installation est toute récente ; le socle sur lequel il est installé est en rase campagne, la plaine et les forêts au loin à perte de vue. Je me renseigne à une aubette d’information tout près. Ce sanglier qui mesure 8 mètres de haut, pèse 50 tonnes, 14 m de long et 5 de large, est l’œuvre d’un sculpteur ardennais Eric SLEZIAK qui a mis 11 ans à assembler morceaux par morceaux de petites pièces d’acier qu’il trouvait au rebut çà et là. Le sanglier, une fois l’installation achevée, tournera sur son socle ( éclairé la nuit ) et fera un tour complet en 10 minutes. La jeune fille qui m’explique tout cela est fière, et elle m’explique que le sanglier a été transporté en grandes pompes depuis l’atelier du sculpteur à Bogny-sur-Meuse jusqu’ici, et que le voyage a duré plusieurs jours. Je lui parle de Duccio, lui explique combien tout cela est si important ; elle me montre une abondante documentation, me donne même un calendrier qui est précieux car tiré me dit-elle en très peu d’exemplaires. Je feuillette les photos avec elle : le sanglier quittant l’atelier, traversant un pont sous les vivas, surgissant d’une forêt, traversant un village dans une rue étroite, flanqué de sonneurs de trompe de chasse lors d’un arrêt…

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Sortie de l'atelier le 4 aout 2008

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Couac : elle m’explique aussi que le sanglier va bientôt se voir entouré de tout un ensemble comprenant station-service, restaurant, magasin, aire de jeux…Et elle en est encore plus fière. Je lui fais part de ma désolation, lui montre les gens qui sont là, qui ne doivent pas à l’existence d’une buvette d’être là, je lui dis que cela veut dire quelque chose, qu’elle doit le rapporter aux autorités, que l’on ne pourra sans doute pas arrêter ce projet imbécile, mais qu’au moins que par nos remarques l’on puisse dessiller certains yeux ... Je regarde les gens qui vont et viennent, pas nombreux en ce samedi d’hiver, avec ce petit vent froid qui souffle dans cette campagne nue habitée par le paisible monstre, mais qui sont là, avec de petits sourires entendus, et qui sont là juste pour profiter de cette formidable présence, étrange et solitaire, seule dans son domaine exactement comme le vieux sanglier vit en solitaire la fin de sa vie dans nos forêts d’Ardenne

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